Nous avons demandé à Geofffroy Bouvet président de l’Association des Professionnels Navigants de l'Aviation (APNA) de nous donner son avis sur les perspectives d'emplois des pilotes alors que les conséquences de l'épidémie de Covid-19 pèsent sur le monde de l'aérien...
Business Traveler France : une étude de IATA dévoile que les vols long-courriers sont au point mort, quand est-ce que vont repartir les réservations ?
Geoffroy Bouvet, Président de l’Association des Professionnels Navigants de l'Aviation (APNA) : Je ne peux pas répondre à cette question, l’avenir reste incertain. Si nous ne sommes pas victimes d’une seconde vague épidémique, nous pouvons considérer être, en France, à 70 % de notre activité long-courrier en 2021, puis 90 % en 2022 pour un retour à la normale d’ici à 2025. Mais il est impossible de prévoir le déroulement des événements pour les prochains mois, lesquels dépendront de l’évolution de la pandémie : certains pays lointains n’ouvriront pas leurs frontières avant l’année prochaine.
Business Traveler France : air France vient d’annoncer une vague de licenciements. Que vont devenir ces pilotes sans emploi ?
Geoffroy Bouvet : les pilotes sont moins concernés par les départs volontaires que les personnels au sol. En effet, les pilotes sont rémunérés à l’heure de vol, avec un salaire minimum garanti d‘environ 70 % du salaire de base ; les compagnies aériennes peuvent donc se permettre de garder jusqu’à 30 % de sureffectifs à coût neutre. A Air France, environ 10 % des pilotes devraient quitter l’entreprise majoritairement dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective.
Les compagnies françaises doivent s’adapter au nouvel environnement de cette crise sanitaire alors que, par ailleurs, elles font face à une concurrence déloyale, notamment avec Ryanair qui propose des vols à moindre coût grâce à son modèle composé à la fois de contournement des charges sociales et d’un subventionnement illégal de leurs vols au départ de la province.
Business Traveler France : avez-vous constaté une baisse de la qualité des conditions de travail et de vie dans l’aérien ces dernières années, avec par exemple l’arrivée des compagnies « low cost » ?
Geoffroy Bouvet : le salaire des pilotes est largement harmonisé dans le monde ; la différence de coût pour les compagnies aériennes se faisant sur les charges sociales non harmonisées suivant les pays des différentes bases d’exploitation, et le nombre d’heures de vol réellement effectuées supérieures dans les compagnies qui n’ont pas de hub. Le modèle sur lequel se base Ryanair est déplorable. En contournant la réglementation, Ryanair contraint leurs pilotes, soit à l’auto-entreprenariat, soit à des bases fictives, ou encore à des détachements fictifs à partir d’un pays aux coûts sociaux plus faibles.
Business Traveler France : comment imaginez-vous la reprise de l’activité ?
Geoffroy Bouvet : nous devons faire face à plusieurs problématiques. Tout d’abord, la crise sanitaire crée de la méfiance chez les passagers qui n’osent plus voyager ou prendre l’avion. Ensuite, les questions écologiques vont peut-être faire obstacle à la popularité de l’avion. Enfin, toute cette crise est susceptible de modifier en profondeur le mode de déplacement des hommes d’affaires qui voyageaient régulièrement. Comme toute société commerciale, ce sont environ 20 % des clients qui font 80 % du chiffre d’affaires, majoritairement des hommes d’affaires qui se déplacent fréquemment pour travailler. Mais avec la pandémie et les nouvelles dispositions de télétravail, leurs habitudes ne vont-elles pas changer ? Il est probable que les entreprises qui se sont bien organisées pendant le confinement fassent le choix plus régulier de la vidéoconférence.
Business Traveler France : aujourd’hui, que conseillerez-vous aux candidats au métier de pilote ?
Geoffroy Bouvet : le transport aérien est une activité cyclique avec, historiquement, dans les pays où le niveau de trafic aérien est mature (Europe, USA), des périodes d’environ quatre ans d’embauche, suivies de périodes équivalentes sans embauche. En revanche, à l’exception de cette période de pandémie, l’Asie a eu constamment besoin de pilotes depuis plus de 15 ans, car elle est en phase de rattrapage de son besoin de transport aérien.
C’est effectivement pendant les crises qu’il faut se former afin d’être prêt lors de la reprise d’activité, que l’on peut aujourd’hui estimer à partir de 2023.
En revanche, sauf à trouver des formations gratuites de pilotes (14 places au concours de l’Ecole nationale de l’aviation civile en 2020, et le recrutement de pilotes militaires issus de l’Armée de l’Air, de l’Aéronavale et de l’Aviation légère de l’armée de terre), les formations coûtent environ 100 000 €, sans garantie d’emploi à la sortie. Les candidats au métier de pilote de ligne doivent comprendre que toutes les écoles ne délivrent pas le même niveau pédagogique et que la seule licence de pilote ne donne pas l’employabilité.
En effet, les compagnies aériennes convoquent en priorité à leurs sélections les pilotes expérimentés et leurs cadets. Le nombre de candidats titulaires d’une licence de pilote étant jusqu’ici toujours largement supérieur au besoin, la sélection privilégie les candidats qui répondent aux critères recherchés de compétences dites « non techniques ». Ce savoir-être n’est que rarement enseigné dans des écoles sans lien avec les compagnies aériennes, notamment dans les écoles où l’instructeur était l’élève de l’année précédente.
Par ailleurs, la durée de la crise étant indéterminée, je ne peux que conseiller aux candidats de se donner un « plan B » avec une formation complémentaire à celle de pilote, telle qu’une formation d’ingénieur. Cela leur permettra d’avoir un travail si l’embauche pilote n’a pas repris en sortant de sa formation. Cela leur donnera aussi un avantage en sélection.
Afin de répondre à cet objectif de cumul d’une formation de pilote de qualité et de « plan B », l’APNA (en coopération avec l’Institut Mermoz, l’APAT et des grandes écoles et universités) est en phase de création d’une formation diplômante intégrant la formation complète au pilotage et un cursus complémentaire répondant aux besoins des compagnies aériennes (qui devrait voir le jour d’ici à quelques mois).
Par ailleurs, l’APNA, association reconnue d’utilité publique, se propose d’être le point d’entrée de l’information de l’emploi des pilotes français. Le recensement des pilotes expérimentés, mais aussi des « low timers » et des stagiaires en école de pilotage, permettra à la fois de peser auprès des autorités françaises pour obtenir des aides spécifiques (renouvellement de licence, de classe 1 etc.), mais aussi de coordonner avec les compagnies étrangères qui réembaucheront en premier. Les pilotes peuvent se recenser sur le site de l’APNA. Voir : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSeytIU5f6aO_Pnv5Fa9V4HLT0uwznu3FOuuQthXrQn3XURpEg/viewform »