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Michel Monvoisin, Air Tahiti Nui : « être une petite compagnie nous aide »

Air Tahiti Nui a été primée récemment pour sa cave Business par notre magazine Business Traveler. Nous avons interrogé son président sur les services à bord et l'impact de la crise pour la compagnie et la Polynésie française en général...
Business Traveler France : vous avez été primé pour votre cave. C'est rare pour une petite compagnie. Quelle a été votre stratégie en terme de service ces dernières années?
Michel Monvoisin, président d'Air Tahiti Nui : nous avons entièrement renouvelé notre flotte d'A340 avec des B787, des avions de nouvelle génération. Cela nous a permis de réduire notre empreinte carbone de -30% et d'améliorer le confort pour les voyageurs à bord : la pressurisation de la cabine est passée de 3600 m à 1800 m ce qui génère moins de mal de tête. Nos employés nous disent qu'ils ressentent moins de fatigue avec ces avions. Le renouvellement de notre flotte s'est terminé en 2019 avec 4 B787 contre 5 A340 auparavant. Nous avons reçu notre premier Dreamliner en novembre 2018 et la migration a pris moins d'un an. Boeing nous a beaucoup aidé car ils étaient contents de signer avec nous. Cela nous a permis de monter en gamme et de répondre à la demande de nos clients qui recherchaient encore plus de confort. Nous avons redessiné notre livrée ce qui nous a valu des récompenses et nous avons aussi changé de marque et les uniformes de notre personnel à cette occasion.
Dans les B787, nous avons rajouté une classe économique premium avec 32 sièges Zodiac de nouvelle génération et on a installé des sièges s'allongeant totalement à l'horizontale en Business alors qu'il y avait des sièges coques dans les A340.
Business Traveler France : l'installation d'une premium n'a-t-elle pas engendré une fuite des clients Business?
Michel Monvoisin : avec le lancement de notre premium nous avions peur effectivement de cannibaliser notre Business mais cela n'a pas été le cas. On a conservé notre clientèle affaire qui est bien spécifique. Nous avons une configuration 2-2-2 en Business contrairement à de nombreuses compagnies car les plupart de nos clients voyagent en couple même s'ils viennent en voyage d'affaires. Nos clients Business sont ceux qui réservent dans des resorts de luxe à Bora Bora et viennent principalement des Etats-Unis ou de France. Ce sont aussi des croisiéristes qui recherchent la qualité avant tout. Nous avons uun fort taux de remplissage des classes Business et économique premium au départ de Los Angeles (les vols ATN font escale à LA entre Paris et Papeete). Il est à noter que l'aéroport de LA s'est fortement développé en terme de connectivité ces dernières années.
Business Traveller France : comment expliquez-vous qu'Air Tahiti Nui ait gagné autant de prix dans le cadre des Celliers du Ciel 2020 Business Traveler ? Vous êtes pourtant en concurrence avec de grands groupes disposant de beaucoup plus de moyens.
Michel Monvoisin : je dois avouer que je suis un peu coupable car j'adore les bons vins en avion (rires). Et puis en Polynésie il y a beaucoup d'amateurs de bons vins. Par ailleurs du fait de son altitude cabine moins élevée, le B787 permet au vin de mieux respirer et nous pouvons donc choisir d'autres types de vins. Mais pour répondre à votre question, être une petite compagnie ne nous désavantage pas, cela nous aide. Car avec de petites quantités on arrive à trouver de belles maisons comme pour le champagne. Les grands compagnies elles misent plus sur les étiquettes. Nous avons travaillé en partenariat avec les Grands Chais de France pour la logistique et avec le sommelier Olivier Poussier, pour le choix des vins : nous lui avons donné carte blanche. Il nous trouve des perles rares dans toute la planète et pas uniquement des vins français. Nous avons toujours à notre carte un Bordeaux, un Bourgogne mais aussi des vins du nouveau monde. Nous avons une carte permanente qu'on retravaille tous les deux ans et une autre que l'on renouvelle tous les ans avec des découvertes.
Business Traveler France : quelle est la différence en terme de carte de vins entre la Business, l'économique premium et l'économique?
Michel Monvoisin : en classe économique on sert du vin générique en bouteilles individuelles. En classe économique premium, au départ nous servions les mêmes vins qu'en classe économique. Mais j'ai rapidement demandé à ce que qu'on différencie les vins en classe économique premium avec des petites bouteilles que l'on a montées en gamme.
Business Traveler France : avec la forte croissance de l'économie californienne par rapport à la France ces dernières années, la clientèle américaine est-elle devenue prépondérante?
Michel Monvoisin : non la clientèle française reste numéro un, même pour les classes Business/éco premium. Mais nous avons noté une très forte hausse de la clientèle américaine sur le transatlantique depuis que nous sommes passés sur des B787. Notre partenariat avec American Airlines nous permet de drainer du trafic depuis une trentaine de villes américaines. La clientèle française reste la première avec 20 à 25% du total. Elle a d'ailleurs augmenté avec l'arrivée de la concurrence. Ce phénomène a été amplifié par le développement des Airbnb et pensions de famille en Polynésie ces dernières années.
La clientèle asiatique au contraire est en baisse mais cela est dû notamment à la croissance du marché américain haut de gamme. Les japonais cherchent les mêmes hôtels de luxe que les américains à Bora Bora mais réservent 3 mois à l'avance contre 6 mois pour les américains. Lorsque les japonais veulent réserver les hôtels, ils sont déjà pleins. United, Air France et des concurrents français ont ouvert des vols depuis/vers les Etats-Unis d'où la forte hausse de la fréquentation de la clientèle américaine en Polynésie.
Juste avant l'épidémie 2019 avait été une année record.
Business Traveler France : quel est l'impact de l'épidémie sur Air Tahiti Nui et la Polynésie en général?
Michel Monvoisin : on a été stoppé net par le Covid, nous en tant que compagnie aérienne et toute la Polynésie. Il ne faut pas oublier que le tourisme représente 17% du PIB en Polynésie. Notre plan à 5 ans de professionnalisation du tourisme de développement d'un autre tourisme que celui des plages est donc en suspens. On travaille à la réouverture. Mais va-t-on profiter de l'après Covid? La Polynésie a des atouts car ce n'est pas une destination de masse : on l' a vu pendant le confinement et la pandémie où même au plus fort de l'épidémie des touristes venaient. On a accueilli un nombre impressionnant de jets privés avec des personnalités comme Elon Musk, Donald Trump...On a vu tous les milliardaires américains.
Mais l'on repart avec des inventaires à 0. Personnellement je suis favorable au Travel Pass Numérique pour fluidifier les voyages. on est persuadé néanmoins que la relance va être violente. « Cela va envoyer du lourd en terme de promotions, tarifs... ».
Business Traveler France : comment vous êtes-vous adaptés à la crise?
Michel Monvoisin : on a réduit nos fréquences à un vol par semaine. On a suspendu nos investissements non indispensables, on a mis en place un plan de départs volontaires de 20% du personnel, on a baissé les salaires. On a demandé une aide à nos actionnaires et on a profité des PGE mais on attend un peu plus d'aides...
Business Traveler France : que pensez-vous de la mesure d'interdire les voyages non essentiels dans les DOM-TOM?
Michel Monvoisin : on est actuellement à 22 cas pour 100000 en Polynésie et l'an passé quand on était à 300/400 cas pour 1000000 on pouvait voyager dans les DOM/TOM. Harvard a fait une étude comme quoi la fermeture des frontières ne résout rien. Les mesures actuelles nous rendent la vie impossible, car on ne peut pas vendre aujourd'hui la haute saison. J'espère que les restrictions pour les départements et les territoires et pays d'outre-mer seront levées rapidement...