Les pays ayant la meilleure liberté économique sont généralement les plus riches. Alors que la France augmente sans cesse sa dette depuis 1975 sous des gouvernements de droite ou de gauche, des pays comme la Suède ont montré que des réformes ambitieuses étaient possibles et nécessaires. Entretien avec Agnès Verdier-Molinié de l'IFRAP alors que la France vient d'être mise sous surveillance pour déficit excessif par Bruxelles.
BusinessTravel.fr : Depuis 1975, les gouvernements français accumulent les déficits et la dette de droite comme de gauche. Quel est le mal français ?
Agnès Verdier-Molinié : depuis des années, la Fondation IFRAP a été en relation avec de nombreux gouvernements et parlements et on peut résumer la vision politique partagée à gauche comme à droite : pourquoi faire des efforts si l’on paie de moins en moins cher la charge de la dette en s’endettant de plus en plus ? Depuis 2022, avec la remontée des taux sur la dette, la charge de la dette est repartie à la hausse et cet adage n’est plus vérifié.
Maintenant, certains politiques pensent encore que nous pouvons continuer à dépenser sans compter et à nous endetter car notre PIB est le deuxième de la zone euro… Comme une crise de la dette en France serait un risque systémique qui pourrait faire exploser la zone euro donc il faudrait de toute façon nous sauver. Résultat, nous nous raisonnons jusqu’à maintenant comme les passagers clandestins de la bonne gestion des pays du nord de la Zone euro.
BusinessTravel.fr : Va-t-on vers un destin à la grecque ou à l’Argentine ?
Agnès Verdier-Molinié : à l’heure actuelle, il est surtout probable que la Commission européenne nous sanctionne pour déficit excessif. Nous avons accumulé plus 840 milliards d’euros de dette publique depuis 2017. 2023 a été une année de dérapage budgétaire massif : le déficit prévu à 4,4 % du PIB a dérapé finalement à 5,5 % (soit 154 milliards d’euros. La France est repassée en procédure pour déficit excessif. Quelle trajectoire allons-nous déposer sur le bureau de la Commission le 20 septembre prochain ? Avec quel gouvernement ? Cette trajectoire sera-t-elle crédible ? On peut fort en douter. La France pourrait écoper d’une amende de 3 à 5 milliards d’euros si elle ne redresse pas ses comptes. Et nous sommes partis pour être dans un niveau de déficit public encore record en 2024 puisque le déficit de l’Etat chiffre déjà à 113 milliards à fin mai ! Nous sommes à l’heure de vérité car si l’on ne se réveille pas de nous-mêmes pour faire les économies en dépenses, nous courons le risque que le FMI nous dicte les économies que notre pays doit réaliser. C’est ce qui est arrivé en Grèce, en Irlande et au Portugal. Cela n’arrive pas qu’aux autres.
BusinessTravel.fr : On a l’impression que les politiciens français sont complètement hors sol. A droite comme à gauche c’est toujours plus de dépenses publiques irréalistes et des décisions non pragmatiques ?
Agnès Verdier-Molinié : pour être dans le réel, il faut faire la transparence sur les enjeux et les conséquences des décisions politiques. Or, en France, il y a un vrai problème concernant les études d’impact des politiques publiques qui accompagnent les projets de lois et l’évaluation de leur application. Les études d’impact (notamment celle de la loi climat résilience) sont souvent incomplètes et peu chiffrées, elles n’évaluent pas les coûts en emplois, le coût fiscal ou le coût des normes pour el entreprises et les ménages. Les administrations publiques bloquent souvent la publication de leurs données, résultat, on ne peut pas comparer l’efficacité des services publiques. L’impact des lois (financier, en lourdeur administrative, etc) n’est pas régulièrement évalué comme cela se pratique en Allemagne, par exemple. Notre Parlement n’a pas comme en Suède ou au Royaume-Uni ses propres capacités de chiffres et d’évaluation, il dépend trop de Bercy. Résultat le rôle majeur du Parlement qui est l’évaluation des politiques publiques (article 24 de la Constitution) reste à la portion congrue. Dans la plupart des grandes démocraties, le Parlement bénéficie de son propre organe d’audit des politiques publiques.
BusinessTravel.fr : oui mais alors, à quoi sert la Cour des Comptes ?
Agnès Verdier-Molinié : la Cour des comptes réalise un très bon travail, très argumenté et fouillé qui permet d’éclairer le débat public sur la mauvaise gestion publique. Mais les préconisations de la Cour ne sont pas assez documentées et didactiques. Quand la Cour préconise de réaliser 9 milliards d’économies par an elle ne dit jamais comment réaliser ces économies sur les dépenses. Le Parlement est le seul organe qui ait le pouvoir de sanction sur les dépenses publiques et les recettes. C’est pour ça que l’une des premières mesures à prendre serait de placer la Cour des comptes au service unique du Parlement quant à l’évaluation des politiques publiques ou de créer un organe d’audit dédié au Parlement.
BusinessTravel.fr : la France est très mal classée en termes de liberté économique, 52ème rang juste derrière la Serbie. La Suisse est classée 2ème, la Suède 9ème. Pendant que les pays de l’Est se sont libéralisés depuis 1968 avec le printemps de Prague, la France a fait le contraire…
Agnès Verdier-Molinié : en France on semble oublier qu’il faut d’abord créer de la richesse avant de la redistribuer. Avant chaque décision, il est important de regarder son impact sur la compétitivité de nos entreprises. Notre pays gagnerait à s’inspirer des pays du nord de l’Europe qui ont mis en place une fiscalité pro-entreprises tout en conservant un système social fort. Tout est une question d’équilibre. En France, le poids des prélèvements obligatoires payés par nos entreprises est de 14,1% du PIB en 2022 pour les sociétés contre 8,6 % du PIB pour les pays de la zone euro, soit 157 milliards d’impôts et taxes en plus par an. La baisse des taxes de production est nécessaire, et de beaucoup plus que ce qui a été fait jusqu’à maintenant. Il faudrait prévoir une baisse de 40 milliards des taxes de production par an en ciblant en priorité les taxes qui pénalisent la production dans notre pays pour redonner une vraie chance à l’industrie française.
BusinessTravel.fr : pour vous, quelles seraient les réformes à mener en priorité pour réduire le déficit public ?
Agnès Verdier-Molinié : 2024 est une année de tous les dangers en termes de déficits publics et 2025 ne sera pas meilleure. Au-delà de la dissolution, il ne faut pas oublier que cette année, la France doit réaliser 20 milliards d’économies et, l’an prochain, 30 milliards ! Sur le court terme, pour réaliser 30 milliards d’économies rapidement, il nous faut agir sur les arrêts maladie du public (lutte contre l’absentéisme et les arrêts abusifs), sur la masse salariale des agents publics (gel du point d’indice), sur les aides sociales (désindexation ou gel), sur les transports sanitaires (limiter les remboursement) ou sur les jours enfants malades des agents publics (alignement sur le privé) et reporter la date d’indexation des pensions. Ce ne sont pas des mesures populaires mais de nombreux pays sont passés par là. Ne pas le faire reviendrait à choisir à moyen terme de devoir prendre des mesures beaucoup plus drastiques du type de ce qui a été fait à l’instigation du FMI en Grèce, en Irlande ou au Portugal avec des baisses des salaires publics de 20% et réduction drastique des effectifs publics comme en Grèce, augmentation du temps de travail sans hausse de salaire et baisse de 20% de l’équivalent du RSA comme au Portugal, relèvement de l’âge de départ à la retraite comme en Irlande…
NOTE: l'excellent site France Inflation montre que depuis De Gaulle et Pompidou tous les gouvernements de droite comme de gauche ont accumulé des déficits.
La richesse nationale a été dilapidée pour créer de la dette qui nous appauvrit. A l'arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981 la dette représentait seulement 23% du PIB. En 2023, les intérêts de la dette ont atteint 51 milliards soit bien plus que les dépenses d'investissement (19,4 milliards) et quasiment 75% des dépenses de fonctionnement de l'Etat. Les politiques de gauche ou de droite menant des politiques keynésiennes achètent les voix des électeurs via des prestations sociales payées à crédit qui grèvent le budget de l'Etat, une politique contre-productive qui prive l'Etat et impose plus de taxes et d'impôts. Paradoxalement les politiques d'endettement enrichissent le secteur financier et appauvrissent les français. La dette est désormais le 4ème budget de l'Etat. Si l'on ajoute les dépenses d'opérations financières c'est le 3ème poste de l'Etat devant les dépenses de fonctionnement.