A la recherche d’une parenthèse ensoleillée dans un monde aseptisé, je m’envole pour Séville ce 2 juillet 2020, stock de masque dans mon sac et appareil photo autour du cou. Dès mon arrivée à Orly, je constate que l’épidémie floute toute ma perception du voyage. A l’ère de la Covid-19, rien ne ressemble au tourisme que l’on connait, et je prends goût à fuir la foule quand on m’offre Séville vide…
Le voyage, cette mascarade
Entre les sourires masqués et les messages sanitaires, nombreux sont les voyageurs téméraires qui se frayent un chemin dans la cohue de l’aéroport en tenue d’infirmier.
On aurait pu s’attendre à des terminaux vides, ou presque, et des files d’attente inexistantes.
Pourtant, ce jeudi matin, les passagers sont bel et bien au rendez-vous. Tous ces visages réduits à des paires d’yeux s’empressent d’enregistrer leurs bagages et de passer les contrôles. Comme d’habitude, me direz-vous.
Seule différence, l’absence de personnel au guichet. Après cette période de forte contamination, le monde aérien semble vouloir responsabiliser les voyageurs, et protéger ses employés.
Automatisation de l’enregistrement, sur des bornes réduites en nombre de moitié pour éviter la promiscuité. Pour les couacs (fréquents) des machines, il faut attendre qu’une des hôtesses soient disponible, le personnel au sol étant en sous-effectif. J’entends derrière moi, « ! qué organización catastrófica ! », dit l’espagnol qui patiente sûrement depuis plusieurs mois pour retrouver son soleil sévillan.
Au guichet pour le check-in des bagages, une machine pour nous accueillir. Il faut se débrouiller pour scanner nos étiquettes et les attacher correctement. Avec toute cette automatisation, on a l’impression de jouer à l’hôtesse de l’air, mais en voyant notre valise partir sur le tapis roulant, on se demande si nous sommes assez qualifiés pour la faire parvenir à destination.
Derrière moi, une femme tient d’un bras sa petite fille qui ne pense qu’à ramasser son ourson tombé au sol, et de l’autre ses billets qui ne passent pas au scan. Je me dis, « cette année, les vacances sont méritées. ».
A bord de l’avion, les beaux masques en tissu fleuri sont évincés au profit de masque chirurgicaux. Les têtes tintées de bleu se dévisagent, « et si mon voisin avait le virus ? ».
Une mer de gel hydroalcoolique
Ce sont 35 degrés qui s’abattent sur nous à l’arrivée de la capitale andalouse. Au moins, le soleil n’est pas masqué.
Je profite de la chaleur quand soudain, « nous allons prendre votre température avant de sortir de l’aéroport ». Réflexion idiote, je me dis que le choc thermique m’a peut-être heurté. Même le beau temps est contaminé ? Ces nouvelles mesures rendent vraiment paranoïaque. Je ne nettoie les mains dans l’un des distributeurs de gel hydroalcoolique et je sors de l’aéroport.
Tandis que le mini-van arpente les rues sévillanes en direction de l’hôtel, j’observe les volets fermés et les rues désertes. [On me propose du gel] Je sais bien que l’Espagnol fuit la chaleur de l’été, mais cette fois-ci je l’imagine apeuré dans un appartement surchauffé par peur que la clim propage le virus.
Camus doit se retourner dans sa tombe et se dire qu’il aurait dû accentuer davantage l’horreur qui s’émane des lignes de La Peste pour rassurer à jamais les contemporains.
Un coup de gel sur mes mains - sinon on vous dévisage – et j’entre dans l’hôtel. L’hôtesse d’accueil, derrière son plexiglass, tente de donner le change. Impossible de me concentrer sur les banalités qu’on échange, j’ai le regard fixé sur un aquarium pas comme les autres.
Seule ressemblance avec une cage à poisson : le bocal rempli de gel hydroalcoolique a remplacé l’eau. Les cartes-clés de chambre y nagent comme des poissons. Je m’en souviendrai. Un photographe qui voyage avec moi plaisante : « on devrait se prendre des bains de gel, nous aussi ! ».
Mon hôtel se dresse dans le centre historique de Séville, et drague presque la Giralda de la cathédrale, à quelques mètres. Observatrice de la ville depuis 1402, elle doit se souvenir de la grande peste qui a ravagé la population du XVIIème siècle et se moquer de notre temps.
J’ai privatisé Séville
Je crois que jamais je n’ai voyagé dans un pays sans croiser au moins un français sur ma route. Alors quand je me suis envolée pour une capitale européenne, je ne me suis même pas posé la question.
Mais là, surprise. Avec mon groupe de journalistes, nous nous baladons dans les rues sévillanes, vides. Le premier jour, je ne me souviens pas avoir croisé plus de dix personnes sur mon chemin.
« C’est fou, il n’y a personne ! »
« Nous n’avons pas croisé quelqu’un depuis 30 minutes ! »
« Il faut dire que c’est idéal pour les photos ! »
Nous sommes ahuris. La parisienne que je suis n’en reviens pas. Dans la capitale française, à part les visages masqués dans le métro, c’est à peine si on voit la différence avec l’avant Covid-19. Je me demande ce que doivent penser les espagnols qui volent pour Paris.
Dans le quartier de Triana, on suit la route des petits artisans. L’un d’eux est là depuis trois générations, il vend des boutons et des chaussettes pour enfant. D’autres sont les rois de la fabrication de cordes, ils gardent leur savoir-faire depuis des dizaines d’années.
Etonnamment, à l’heure où les grandes enseignes peinent à se remettre de la crise, eux sont ouverts et ont leur clientèle fidèle.
La peur des Sévillans à sortir aurait pu créer un sentiment angoissant lors de la visite de la ville, mais devant les portes du Real Alcazar, quand j’ai aperçu la grande place vide et les allées des jardins nues, une pensée quelques peu culpabilisante ne m’a plus lâchée : « merci corona ».
Jamais je n’ai eu l’occasion de voir Séville déserte. Imaginez-vous vous balader entre les pièces du palais qui a traversé les époques et les cultures, entre monde arabo-musulman et catholicisme, et qui réserve sa mosaïque, rien que pour vous.
Même sensation privilégiée dans la Casa de Alba, ce palacio privé devient si intimiste quand vous êtes seul à y avoir accès. Ce lieu de rencontre de personnalités diverses, comme l’impératrice Eugénie de Montijo, ou encore Kennedy et Churchill nous donne un aspect de la vie de la Duchesse Alba et de son goût pour les collections.
Séville silencieuse nous accueille cette fois-ci en secret, et nous laisse entrevoir ses plus petits recoins, dénudés de la foule.
Des festivités réinventées
Les restaurants sont désormais ouverts dans la capitale andalouse. Il était temps, ce n’était qu’une question de temps avant que les tapas aillent manifester.
Certains ne sont pas ouverts, d’autres n’accueillent que peu de monde. Mais n’est-ce pas ce que l’on recherche, la distanciation sociale ?
Séville n’a en tout cas pas perdu ses talents culinaires.
Le restaurant Tradevo Centro nous plonge dans l’univers méditerranéens, avec son comptoir de fruits de mer frais et le grand tableau-poisson au mur. Ils proposent des assortiments de tapas absolument succulents, notamment un ceviche de crevettes blanches avec leur tête sur sauce de tomates jaunes. Sublime.
Notre guide nous indique que la tradition revient au galop dans les assiettes, on la retrouve dans le plat « œuf à basse température, crevettes au lait frittes et pilpil de piment de piquilla ».
« Le lait fritte, c’est une tentative de refaire un plat de la guerre, le leche frita, un mélange de farine et d’eau que l’on donnait aux enfants. ».
En soirée, l’Espagne parait plus calme, loin de ses habitudes. Pas de « ¡Madre mía ! » qui s’entrechoquent d’un bout à l’autre de la calle, pas de discussion qui s’entendent jusque dans les rues voisines.
Je constate que, pour une fois, il est possible de dormir la fenêtre ouverte.
Au restaurant moderne Abades Triana se dresse sur les bords du Guadalquivir et offre une vue panoramique sur la Torre de Oro.
Pour profiter pleinement du lieu, il faut aller prendre un verre sur la terrasse extérieure pour ensuite diner en intérieur où on est plus au frais. Les mets fins proposés laissent un heureux souvenir en bouche.
Un assortiment d’un melon glacé, d’une croquette de poisson, d’un bonbon saupoudré de caviar et d’un croustillant avec une crème de thon m’a particulièrement surprise.
Le fleuve calme reflète la ville endormie, et on apprécie ce nouvel aspect de la ville qui la rend plus apaisée. Si certains veulent en profiter toute en intimité, une croisière en yacht sur le Guadalquivir sublimera la chance de s’approprier une Séville dépeuplée, bien loin des bateaux mouches qui défilent sur la Seine.
L’heure n’est donc pas à la fête dans les rues sévillanes. Peut-être vais-je retrouver l’ambiance espagnole dans les soirées endiablées au rythme du flamenco. Née en Andalousie, cette danse concentre par sa nature une énergie fantastique, et un dîner spectacle m’attend.
Une petite salle nous accueille, quelques tables seulement face à la scène. Une famille et un couple nous accompagne dans les applaudissements. Je m’oblige à frapper fort dans mes mains.
Adela, la serveuse, m’explique que parfois les spectateurs sont de véritables danseurs, et montent sur scène pour se mêler au spectacle.
« ¡No puedes matarme con tu amor!” (Tu ne peux pas me tuer avec ton amour !), scande la chanteuse.
Les vibrations de sa voix m’emportent, et à travers le couple de danseurs qui s’enlacent avec frénésie au rythme de leurs pas, je vois Séville que je connais, avec son brouhaha et sa fête, sa foule et ses embrassades.
Elle nous a manqué, quand même.
INFORMATIONS PRATIQUES :
Y ALLER :
Air France vient de lancer début juillet un vol direct Paris-Séville : il est opéré chaque jour de la semaine.
OU DORMIR ?
- Hôtel Dona María : 4 étoiles, placé en plein centre historique
https://fr.hdmaria.com/
QUE FAIRE ?
- Real Alcazar
https://www.alcazarsevilla.org/noticias/version-francaise/
- Casa de Alba
https://www.fundacioncasadealba.com/
- Hospice de los Venerables
https://www.seville.fr/hospice-venerables
OU MANGER ?
- Tradevo Centro
https://www.tradevo.es/tradevo-centro/
- Abades Triana
https://abadestriana.com/fr/
- La cantaora : diner spectacle de flamenco (ndlr : allez-y pour l’ambiance, mais la cuisine n’est pas exceptionnelle)
https://flamencolacantaora.com/fr/