L’épidémie de Covid-19 a fait plonger le monde du transport aérien dans l’inconnu. Des drames sociaux sont à prévoir pour la rentrée en Europe et dans le monde…
L’inquiétude gagne les compagnies aériennes dans le monde entier alors que la reprise des vols long-courriers tarde à venir.
La IATA a ainsi estimé il y quelques jours que la demande pour les vols long-courriers était quasi nulle. L’angoisse est d’autant plus forte que les pays tardent à rouvrir leurs frontières.
Ainsi on a appris la semaine dernière que l’Australie ne prévoyait pas de rouvrir ses frontières avant 2021. Le Japon interdit toujours l’entrée des voyageurs et en Amérique du Sud l’épidémie se développe tandis qu’aux Etats-Unis elle continue à être active.
Les voyageurs de la plupart des pays européens ne peuvent plus se rendre aux Etats-Unis depuis le mois de mars alors que les vols transatlantiques sont parmi les plus importants en terme de trafic au monde.
La Russie est également durement frappée et l’on vient d’apprendre qu’un foyer épidémique avait été découvert à Pékin ce qui a conduit à l’annulation de nombreux vols domestiques la semaine passée.
La grande question que se pose le monde de l’aérien est : quand va-t-on revenir à une situation normale ou au moins quand la plupart des frontières des grands pays vont-elles rouvrir ?
Quand les frontières des pays lointains vont-elles rouvrir?
Hors on nage actuellement dans le flou. Et la cacophonie européenne avec des ouvertures de frontières disparates ces derniers jours n’incite pas les vacanciers à l’optimisme. Il faut bien vérifier avant de partir qu’un pays n’organise pas de quarantaine à l’arrivée.
De même les certificats médicaux nécessaires ou les prises de sang mises en place à l’arrivée exigés par certains pays comme l’Islande risquent de freiner l’envie de voyage des voyageurs. Dubaï a ainsi annoncé récemment qu’il rouvrait ses frontières en juillet mais avec prise de sang à l’arrivée : quel voyageur d’affaires ou touriste va vouloir prendre le risque de partir et si testé positif sur place d’être transféré dans un logement choisi par l’Emirat pendant 14 jours?
Face à ces constats et la baisse drastique de leurs chiffres d’affaires les compagnies aériennes réduisent leurs coûts et aujourd’hui commencent à mettre en place des plans sociaux.
Licenciements chez BA, Icelandair, Norwegian, Easyjet...
La compagnie scandinave SAS a été l’une des premières à annoncer des licenciements avec 5000 postes supprimés sur 11000. De son côté Norwegian a prévenu qu'elle pourrait manquer de cash à partir de la mi-mai et a indiqué qu'elle pourrait supprimer 4700 postes alors que 4 entreprises suédoises et danoises du groupe ont fait faillite. Toujours en Europe du Nord, Icelandair a annoncé qu'elle allait supprimer 2000 emplois pour arrêter l'hémorragie de cash alors qu'elle opère moins de 10% de ses vols habituels. British Airways a confirmé qu’elle allait supprimé 12000 emplois dont un quart de ses pilotes alors que la demande a chuté drastiquement de 94% en avril et en mai.
Et même en Allemagne où les autorités ont très bien agi face à l’épidémie, le groupe Lufthansa prévoit tout de même de supprimer 22000 emplois soit 16% des effectifs du groupe. La compagnie a pourtant reçu un plan d’aide massif de 9 milliards de l’Etat. Quant à Easyjet, son plan de restructuration prévoit une baisse de 30% de ses effectifs.
Inquiétudes chez Air France
Chez Air France également l’inquiétude est au plus haut alors que le groupe prévoit de licencier 8000 à 10000 emplois. Cependant la compagnie a confirmé que ce plan de départs serait «volontaire» sans licenciements secs. Même si l’on sait que des licenciements secs ou pas conduisent toujours à des drames sociaux.
L’aide de l’Etat devrait sans doute éviter le pire contrairement à d’autres pays européens, mais pas si la crise s’éternise. «La France a fait un choix différent, le gouvernement a décidé de favoriser le maintien de l’emploi. L’Etat a fait un prêt à Air France pour maintenir l’emploi et éviter une vague de licenciement. Le problème, c’est qu’un prêt n’est pas une aide. Ce n’est pas un sauvetage de l’emploi. Cela crée un nouveau remboursement de la dette et ça nous défavorise par rapport à la concurrence. Surtout quand des compagnies comme Ryanair constituent déjà une concurrence déloyale. Sur le long terme, l’avenir n’est pas assuré.
«Les pilotes sont les moins concernés par les mises à pied, pour la plupart ce sont des départs à la retraite qui ne vont pas être remplacés. Pour le reste, ce sont les moyens de rémunération des pilotes qui vont combler le manque. Etant donné que les pilotes sont rémunérés à l’heure de vol, avec une base de 40% environ, la compagnie va pouvoir en tirer des avantages. Nous n’avons pas le choix, Air France fait face à une concurrence déloyale, notamment avec Ryanair qui propose des vols à moindre coût grâce à son mode de fonctionnement qui l’escompte de charges » explique Geoffroy Bouvet président de l’APNA à Business Traveler France.
Les plans d'aide vont-ils suffire? Et combien les états pourront-ils encore promettre?
Le principal problème est que les plans d’aide de 7 milliards pour Air France ou de 9 milliards pour Lufthansa pourraient bien ne pas suffire alors que la reprise du trafic long-courrier semble bien plus lente que prévue. Les Etats ne pourront pas éponger indéfiniment les pertes d'une crise qui risque de durer encore un an voire plus pour le trafic long-courrier.
L’Association internationale du transport aérien (IATA) estime la chute du chiffre d’affaires des compagnies aériennes à 50% pour 2020 et n’envisage pas un retour au niveau d’avant-crise d’ici 2022. « A titre comparatif, l'épidémie du SRAS avait fait reculer le trafic de la région Asie Pacifique seule de 35 % et avait touché l'Amérique du Nord à hauteur de 15 % environ. Il avait fallu six à neuf mois pour que le trafic se rétablisse. Le 11 septembre, qui a eu le plus d'impact aux États-Unis, avait entraîné une baisse de 45 % du trafic américain au plus fort de la crise et de 3 % au niveau mondial » estime Alain Guillot, directeur associé chez AlixPartners.
« Il parait indispensable pour l'industrie aéronautique commerciale de se redimensionner, afin de s’adapter à une activité de plus faibles volumes pour assurer sa survie à court terme, à l’instar de l'industrie automobile en 2009 », souligne Alain Guillot. « Agilité et réactivité seront les mots clés de cette adaptation. Les entreprises qui se redimensionneront rapidement et suffisamment seront plus compétitives et mieux armées pour le rebond futur. Au-delà des actions défensives, des actions plus offensives d’acquisition permettront aussi de renforcer les positions concurrentielles, en diversifiant le portefeuille d’activités ou la répartition géographique », ajoute Pascal Fabre, directeur associé chez AlixPartners. Pour les compagnies aériennes, les flottes post-crise seront plus petites, composées d’appareils plus récents, moins gros et moins gourmands en carburant. Une grosse partie des flottes de petite taille et anciennes ne revolera pas.
Pour les employés de l’aérien il s’agit d’un véritable coup de massue. Le secteur connaissait une croissance apparemment sans limites ces dernières années et les possibilités d’emplois étaient plus nombreuses que jamais. Le secteur de l’aérien dans son ensemble était plutôt florissant. L’épidémie a tout changé.
Un quart des pilotes sans travail d'ici 2022
Selon le président de l’APNA Geoffroy Bouvet un quart des 300000 pilotes de lignes seront sans travail à la reprise en 2022. Et la remise en marche du secteur s’annonce encore lointaine : «nous devons faire face à plusieurs problématiques, tout d’abord la crise sanitaire crée de la méfiance chez les passagers qui n’osent plus voyager ou prendre l’avion. Ensuite, les questions écologiques font obstacle à la popularité de l’avion. Et enfin, toute cette crise est susceptible de modifier en profondeur le mode de travail des personnes qui voyageait régulièrement. Comme toute compagnie, ce sont environ 20% des clients qui font 80% du chiffre d’affaire. Majoritairement des hommes d’affaires qui se déplacent fréquemment pour travailler. Mais avec la pandémie et les nouvelles dispositions de télétravail, leurs habitudes ne vont-elles pas changer ? Il est possible que les entreprises qui se sont bien organisées pendant le confinement fassent le choix d’utiliser le télétravail régulièrement » s’inquiète Goeffroy Bouvet.
Des situations personnelles difficiles pour les hôtesses et stewards des pays pauvres
A l’étranger des employés sont déjà en détresse. Nous avons contacté un steward qui vient d’être mis à pied chez Emirates. Il n’a pas voulu communiquer publiquement sur sa situation. Emirates a effectué des licenciements massifs récemment suite à sa politique de réduction des coûts du fait de l’épidémie de Covid-19 sans préciser combien de postes sont concernés. Une situation difficile alors que beaucoup d’employés viennent de pays pauvres aux faibles prestations sociales et qui se retrouvent du jour au lendemain sans salaire…
Pour les employés il s’agit d’un drame social. Selon onemileatatime, les employés licenciés ont 29 jours de grâce avant de devoir quitter le pays suite à l'avis de mise à pied.
Boeing et Airbus réduisent la voilure
L'ambiance est identique au sein des constructeurs. Boeing et Airbus sont évidemment touchés par la crise et vont eux aussi réduire leur masse salariale.
Le CEO d'Airbus a prévenu que l'épidémie était la plus grave crise que le groupe ait connu et que cela pourrait prendre 5 ans pour que l'industrie revienne à ses niveaux pré-coronavirus. Le constructeur qui compte 135000 emplois dans le monde va sans doute être contraint de licencier. Il a d'ailleurs commencé à l'usine de Broughton dans le pays de Galles en supprimant 3200 emplois sur 6000.
Boeing a annoncé il y a quelques semaines la suppression de 16000 postes soit 10% des effectifs du groupe d'ici la fin de l'année. Sans surprise c'est la division de l'aviation commerciale qui sera la plus touchée avec 15% des postes supprimés sur un total de 80000. Les postes supprimés seront principalement situées dans la région de Seattle.
Les aéroports commencent aussi à débaucher
Après les compagnies aériennes et les constructeurs, l’angoisse pointe également dans le milieu aéroportuaire.
L'aéroport Heathrow a affirmé la semaine passée que ses « niveaux d’emploi ne sont plus viables », alors que la quarantaine générale de 14 jours annoncée par le gouvernement est entrée en vigueur cette semaine.L ’aéroport a déclaré que le nombre de passagers en mai a été à un creux historique (en baisse de 97% par rapport à la même période l’an dernier) et « le sombre tableau se poursuit du fait de la politique de quarantaine du gouvernement, qui exige que tous les passagers qui arrivent s’isolent pendant deux semaines. »
L’aéroport avait déjà annoncé qu’il avait supprimé un tiers des postes de gestion et a maintenant commencé à « restructurer son activité en relation avec les clients ». L’aéroport n'a pas encore publié le nombre de redondances qu’il prévoit.
En France Aéroports de Paris pourrait bien supprimer des emplois alors que selon Augustin de Romanet, PDG d'ADP, cité par le Figaro le trafic aérien « pourrait retrouver son niveau de 2019 entre 2023 et 2025…Nous devrons procéder à des ajustements de même nature que les compagnies aériennes ». Et cela aura un impact sur l’économie de la région alors qu’Air France et Roissy sont le premier employeur d’Ile-de-France.
Effet domino de la crise de l'aérien sur l'économie mondiale
Mais le plus grave c’est que la baisse de régime de l’aérien pourrait entrainer un effet domino.
Les compagnies aériennes sont au cœur de la mondialisation et des échanges. L’arrêt ou la très forte réduction des vols de passagers long-courriers signifie à terme des vols cargo bien plus cher, un tourisme en berne mettant à terre de nombreux pays pour qui le tourisme est fondamental.
A Paris la majorité du chiffre d’affaires des boutiques, des restaurants et des hôtels haut de gamme provient des touristes étrangers asiatiques, américains du Moyen-Orient…
Rien qu’à lui seul le transport aérien contribue à hauteur de 2700 milliards de dollars à l’économie mondiale soit 3,6% du PIB global et de lui dépendent de nombreux secteurs directement ou indirectement. Même si Air France a repris des vols vers de nombreuses destinations long-courriers, ces vols circulent à moitié vide car les voyageurs d'affaires et les touristes ne sont pas de retour...
La baisse du trafic va affecter l'économie du tourisme de nombreux pays
C’est l’essor des compagnies low-costs et la baisse des tarifs des vols long-courriers qui a permis une forte envolée des flux touristiques dans de nombreux pays du monde du fait de la forte compétitivité du secteur et de son fort développement. Le Japon qui prévoyait d'accueillir 40 millions de touristes cette année devrait n'en compter que 5 cette année selon Bloomberg : une véritable débâcle! Mais le Japon a d'autres secteurs sur lesquels compter : qu'en est-il de pays plus pauvres comme la République Dominicaine, de nombreux pays d'Asie du sud-est ou d'Afrique?
Pour le moment les fermetures de frontières ou les restrictions de voyage dans de nombreux pays empêchent la reprise du secteur. Lors du confinement, nous avions indiqué qu'Air France et Lufthansa perdaient chacune environ 1 millions d’euros par heure soit 24 millions par jour et 720 millions par mois. A ce rythme les aides d’état pourraient être vite épuisées.
Et alors que dans de nombreux autres secteurs la situation n’est pas meilleure, les Etats pourraient ne plus pouvoir aider les entreprises et l’explosion des dettes pourrait entrainer une baisse des ratings et une explosion des intérêts qui entrainerait des faillites d’Etats en cascade à l'image de la Grèce…
Quid de la montagne de dettes à l'horizon?
La grande question de la rentrée va donc être celle de la durée de la crise et du remboursement de la dette.
L’Allemagne a su épargner ces 3 dernières décennies alors qu’elle avait à intégrer la RDA et a fait d’immenses efforts financiers. Pendant ce temps, la France au contraire s’est laissé aller alors qu’elle n’avait pas à faire un effort aussi important. Les français ont élu des gouvernements qui ont a dépensé sans compter pendant les années 80/90/2000 en multipliant les promesses et la dépense publique. Comme l’a dit La Fontaine, « La cigale ayant chanté tout l’été se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue…» Nous y sommes. On ne pourra pas dire que les français n’avaient pas été prévenus…