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A la découverte des artistes du monde : Vidya Gastaldon

vidya-gastaldon.jpgVidya Gastaldon est une artiste française qui  expose actuellement ses dessins à la galerie Art : Concept. Elle créée des oeuvres qui s'inspirent de l'esthétique hippie et psychédélique, du New Age et du Minimalisme abstrait.

 

Pourquoi vous êtes-vous installée en Suisse.

J’y suis arrivée par hasard parce que je travaillais avec une galerie (Analix), mais j’étais déjà très attachée à la proximité de montagne dans mon environnement. Ensuite le lac et à la qualité de vie de Genève m’ont retenue. Puis je me suis mariée, j'ai trouvé un équilibre là-bas, et j'y suis restée. Mais je commence à avoir envie de bouger ailleurs.


Votre œuvre, exposée en Suisse, en France et dans le monde entier, aborde des thèmes universels. Est-elle accueillie partout de la même manière.


C'est difficile à dire. J’espère… oui. J'ai fait pas mal de choses en Asie, où mon travail est bien accueilli. J'essaye de faire quelque chose d’universel et qui potentiellement puisse parler à chacun, indépendamment de sa culture et de ses croyances. Si je suis accueillie un peu partout, j'espère que c'est plutôt dû à la curiosité du public qu'à une sorte de mondialisation culturelle, qui fait qu'on voit les mêmes artistes partout.


Qu'est-ce qui vous inspire.

Il y a des pays où j'expose assez peu, comme l'Allemagne ; ce qui est assez étrange car c'est un pays où j'allais beaucoup adolescente, et qui m’a beaucoup influencée ; c'était aussi ma première langue à l'école. Ce qui explique peut-être que je me retrouve en Suisse, qui est un pays à la mentalité assez proche parfois : je pense notamment à l'écologie, qui était une question importante en Allemagne déjà a cette époque, alors que dans mon lycée, à Grenoble, la question était peu évoquée... je suis née dans un milieu très concerné par ces thématiques. Les adolescents allemands semblaient aussi moins accepter les modèles établis, et être tout simplement plus rebelles à mes yeux.

Je reste influencée par ma « psycho-généalogie »  familiale, ce qu'ont vécu mes parents avant de m'avoir dans les années 70 et quand j'étais toute petite : ils ont habités en communauté et ont pratiqués la méditation, se sont intéressés aux systèmes de pensées et de philosophies orientaux et de l'Inde en particulier. Adolescente, je suis tombée sur Krishnamurti, Sri Aurobindo et  les Upanishads, ca a été un choc. Par la suite je suis devenue curieuse d’autres textes sacrés ou de prose mystique, en gardant une préférence pour les Védas en général, les Upanishads et la Bhagavad-Gita. Par exemple, mon prénom, Vidya, est un mot sanskrit qui signifie « qui se dirige vers la lumière, la connaissance ». Son contraire, Avidya veut dire « qui se dirige vers l'ignorance, les ténèbres ». Dans une approche non dualiste, on considère que ces deux concepts sont indissociables et complémentaires. Cette pensée m'a beaucoup marquée, cette approche métaphysique de l’unité mais également ce panthéon de trente millions de dieux, d'avatars : ce sont tous des reproductions les uns des autres, comme dans un jeu de miroirs, de boule à facettes qui se reproduiraient à l'infini. J'adore cette idée de dieux, demi-dieux et d’esprits prenant des formes variées, c'est comme un espèce de supermarché des dieux. Ils sont multiples et infinis tout en servant le concept unique de Brahman. C’est peut-être simplement la transcription la plus proche que j’ai trouvée de mes diverses expériences d’expansion de conscience à travers le yoga, la médiation ou les drogues psychédéliques ! c’est une sacré source d’inspiration, voir une source d’inspiration sacrée.

Mais je pense avoir gardé une distance, peut être un certain héritage français du cartésianisme, dans ma manière d'aborder ces expériences mystiques et ces « systèmes de croyance » (j'utilise à dessein un terme psychanalytique et scientifique). C'est « ce en quoi les gens croient », ce qui permet d'établir une distance, et de ne pas dire « Je détiens la vérité ».

Je puise dans ces connaissances et expériences pour me faire comprendre mais je mange et bois à tous les râteliers ! Les textes sacrés me nourrissent beaucoup, mais j'adore aussi toutes sortes de BD, les revues de sciences ou le dessin de presse. Dans les formes qui me parlent symboliquement, il y a des personnages vraiment populaires comme Darth Vader, ou Sponge Bob, des icônes ou des archétypes facilement reconnaissables que je réutilise volontiers dans une sorte de cuisine, car elles sont accessibles a tous et pas seulement à une élite cultivée.


Et artistiquement, quelles sont vos influences.

Comme beaucoup d’artistes, je ne fait pas vraiment de distinction entre ce qui est « Art » et « pas Art ». Ma mère et ses sœurs copiaient très bien les tableaux de maîtres tel que Degas, Matisse ou Monet. Mon père a toujours fait beaucoup de choses de ses mains, des meubles et maintenant des lampes-sculptures.
Enfant, il y a eu aussi Dorli Vienne Pollak, artiste et mère de mon amie Gisèle Vienne (chorégraphe), qui nous donnait des tas d’idées géniales de trucs à faire de nos 10 doigts. Ce sont mes influences secrètes ! J’ai toujours dessiné, et j’ai étudié le dessin et l'histoire de l'art au lycée dans une classe spécialisée « Art plastiques », avec un super professeur (Mr Casalegno) très ouvert sur l’art contemporain. Je me suis dernièrement remise à étudier un peu et re-regarder la « vieille » peinture, parce que c'est un bagage pictural que j'ai vraiment  intégré d'une certaine manière. Je me reconnais donc de nombreuses influences, mais les citer toutes est impossible : ça va de l'art Minimal-Conceptuel au Land art, de la BD psychédélique aux artistes visionnaires américains. Dans les classiques, Brueghel, Jérôme Bosch, Turner, Rubens, Hokusai, Max Ernst, tellement de choses... Mes influences sont si éclectiques que je me sens pas de réelle appartenance à une génération  ou un courant.


Vous avez énormément travaillé avec Jean-Michel Wicker...

Oui, durant sept ans. Nous nous sommes rencontrés alors que j'étais en deuxième année aux Beaux-Arts et qu'on m'a invité à L’ARC pour faire une performance, La bulle, au moment de l'exposition « L'hiver de l'amour » : j'avais 19 ans, j'étais encore un petit bébé. J'étais dans une énorme bulle en plastique, le crâne rasé comme une enfant sous chimiothérapie, et on pouvait me toucher par le biais de grands gants transparents. Rétrospectivement, je ne trouve pas ça fantastique, mais ça a été un des événements marquant « médiatiquement parlant » de cette exposition qui était importante, dans le contexte de l'époque. J'ai fait la couverture de quotidiens, il y a eu des articles.  Personne ne savait ce que j'étais à cette époque, une petite fille androgyne qui avait pris beaucoup de Lsd et qui était réellement malade : j'avais une pneumonie qui a duré 6 mois avec un décollement de la plèvre. Assez vite j’ai reçu une proposition d’une galerie importante, et je me suis rendue compte d'une chose : je ne voulait pas m’enfermer dans quoi que ce soit.

Il avait une forte demande autour du corps, de la sexualité et de ses enjeux, certaines problématiques intellectuelles et esthétiques des années SIDA : on demandait beaucoup aux filles en école d'art d'illustrer l'héritage post-féministe, comme Sophie Calle, ou Cindy Sherman. Je me suis sentie happée là dedans, comme si j'avais mis un doigt dans l'engrenage, et que tout allait y passer. Je me suis aussitôt sabordée, j'ai refusé une ou deux propositions et j'en ai accepté d'autres mais avec Jean-Michel, Christophe Terpent, Serge Comte et d’autres, principalement des gens des Beaux-Arts. Une sorte de collectif très libre s’est formé, en accord avec une certaine culture de l'époque , c'était aussi les années Rave. Peu de temps avant, sous une forme beaucoup plus sauvage on fabriquait aussi des décos pour les free-party, avec Caroline qui allait devenir Miss Kittin. Tout ça, c'était une magnifique utopie et une excellente manière de questionner l’ego de l’artiste en général. Le collectif n'avait pas de nom, par la suite les œuvres que nous créions ensemble avec Jean-Michel étaient signées de nos simples prénoms. Rétrospectivement, on a découvert que ça reste une illusion : en groupe ou a deux, on reforme simplement un ego encore plus grand, encore plus fort, nous étions assez comiquement narcissiques même si notre but affirmé était d’apporter de la lumière et de l’amour aux gens comme des sortes de mini Merry Pranksters version années 90. On s’est vraiment beaucoup amusés tout en apprenant a être très sérieux dans l’enjeu de nos pratiques et nos réflexions. C'était  vraiment un magnifique apprentissage.


À 35 ans, vous avez déjà vécu beaucoup de choses !

Pour le monde de l’art, c'est comme si j'avais déjà eu deux ou trois « carrières ». Mais tout cela est un enchaînement de choses naturelles et j’aime l’idée de ne pas m’identifier a un moment précis et de rester libre.


Votre production est très variée...

Toujours ce besoin de liberté.
J’ai évoqué mes parents et Dorli Vienne Pollak qui sait tout faire. Et puis avec Jean-Michel : on dessinait a quatre mains, on s’est assez vite appropriés certains matériaux comme la laine, quand on s'est séparés, j'ai continué à dessiner, coudre, tricoter... j'ai toujours eu beaucoup de plaisir dans le travail manuel et répétitif. Le dessin a toujours été une pratique privilégiée pour moi, même s’il n’était guère encouragé au Beaux-Arts, après la séparation j'ai eu besoin de me botter les fesses et de faire quelque chose dont je rêvais : un dessin animé. J’en ai fait quatre, dont le dernier Nucléarama en collaboration avec Nathalie Rebholz.

Je fais également des sérigraphies pour des groupes que j'aime comme Acid Mothers Temple ou Konono N°1, dans le cadre de leurs concerts. J'ai également réalisé des choses à partir d'images des années 70, où les visuels étaient collés dans certains livres, et non imprimés directement. Notamment a partir d’images extraites du livre Les sanctuaires de tous les temps, que j'ai grattées avec du dissolvant et du white spirit  pour faire apparaître un œuf de lumière planant.

Maintenant j'ai envie de faire des livres, d’essayer de me dédier à un sujet et l’illustrer. Peut-être la Bhagavad-gîtâ, un ouvrage que je parcours en tout sens depuis un bon bout de temps maintenant. J'en ai pleins d'éditions, avec des traductions anglaises et françaises que je compare beaucoup pour leurs différences d’interprétations. J'ai réalisé pas mal de dessins où j'ai inséré des phrases de la  Bhagavad-gîtâ. À un moment donné, je me suis rendue compte que certains dessins devenaient humblement de simples illustrations, et je me suis posée la question de proposer à un éditeur la réalisation d'un tel ouvrage. C'est encore assez flou, et je ne sais pas si j'ai la rigueur nécessaire pour me consacrer à un seul et unique sujet et format pendant longtemps.


Vous avez déjà publié plusieurs livres...

Oui, le dernier est : Call it what you like, sorti cet automne. Une centaine de dessins et un unique texte que j’ai écrit, une sorte de poésie vaguement beatnik et autobiographique, un récit d'expérience spirituelle, psychique, psychédélique, avec de l'écriture automatique, pas mal de jeux de mots et de langage. J'ai vraiment envie de faire des livres : le musicien a le disque pour vendre ou donner son œuvre, nous les artistes nous avons le multiple, mais qui reste assez cher, et s’inscrit dans un circuit particulier. J'ai toujours adoré les livres avec des magnifiques doubles pages, peu importe le motif. J'ai envie de sortir de cette hiérarchie de l'objet d’art inaccessible. Si on trouve dans un livre une photo ou un dessin qu'on adore, on peut la découper et l'encadrer, peu importe que ce soit l'original et qu'elle soit signée par l'artiste. Tout en gardant une certaine aura, le livre permet  de raconter une histoire à travers des pages, plutôt que sur le mur d'une galerie. Une histoire qu’on pourra regarder au lit ou dans le train. Je me rend compte de l’ironie de mon insatisfaction, certains dessinateurs de presse ou de BD rêveraient d'exposer en galerie, et moi qui y suis j'ai envie de quelque chose de plus populaire, et de plus accessible. Surtout de moins élitiste, car quand on fréquente le milieu de l'art depuis plus de 15 ans, on se rend compte qu'il est peuplé de gens géniaux mais aussi de gens très fatiguants et très snobs.


Que pouvez-vous nous dire sur votre exposition à la galerie Art : concept.

Pour cette exposition, j’ai collecté des dessins qui ont été exposés en 2008 dans diverses expositions, notamment une exposition que j'ai faite au Walsall Museum en Angleterre en Octobre 2008. Ainsi que des nouveaux dessins de la fin 2008, et quelques autres plus anciens, en tout une trentaine de dessins. C'est toujours assez difficile de sélectionner les œuvres trop longtemps à l’avance car je ne peux pas savoir dans quel « mood » je serai en janvier ou avril de telle année. Quelle sera l’ambiance du monde à ce moment là !

Le titre est venu tout seul: « Necology » c'est un jeu de mot entre « Nécrologie » et « Ecologie » car à l'automne 2008  le thème des esprits, notamment ceux de la nature était très présent. Les paysages que je dessinais étaient infestés d'esprits ou d'entités qui surgissaient de la matière. J’ai souvent l'impression de n'être qu'un filtre, que mes dessins ne sont que l'expression de différentes volontés qui se manifestent à travers moi, dans la matière. Je fais des dessins assez différents sur toute une année ou plus. Il y a des dessins avec des versets de la Bhagavad-gîtâ,  des séries un peu gore ou comiques, d’autres au style plus minimal, d’autres encore qui sont tout ça a la fois ! Mais je procède toujours de la même manière a l’accrochage et j'essaye d'en faire une histoire comme dans mon dernier livre, une sorte de genèse avec des débuts et des fins d’univers, des respirations oscillants entre des explosions de ténèbres et de lumières.

N.B.: Article initialement publié Sur le site web de ArtandYou et rediffusé sur BusinessTravel.fr avec l'accord de notre partenaire Artand You. 

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